lundi 19 novembre 2012

Ma voisine

Je ne vous ai pas encore présenté ma voisine. En fait, il s'agit d'une ex-voisine, mais comme nous l'aimons tant, elle reste une voisine de coeur (si, si, ça existe). Année après année, elle a rajouté un an à son âge, et aujourd'hui elle affiche fièrement le nombre de 89 ans et 6 mois. J'aimerais être comme elle à 89 ans et 6 mois... enfin presque, parce qu'elle est vraiment courbée et qu'elle doit se contorsionner pour voir vers le haut, ce qui était un peu difficile pour dévisager Arthur du haut de son mètre 82 ! Mais au-delà de ses maux physiques, cette dame est charmante, attentionnée, se souvient de tout, de chacun, sait écouter, ne fait pas de morale aux jeunes, jamais. Elle rit avec eux, s'intéresse à eux et admire chacune de leurs activités. Elle est aimée, forcément.

A l'époque où nous habitions dans l'appartement du rez-de-chaussée, les enfants étaient aux petits soins avec elle. Ils l'attendaient pour lui tenir la porte, l'aidaient à descendre les dernières marches, lui portaient son cabas, l'accompagnaient même chez les commerçants du quartier pour avoir le privilège de passer un moment avec elle et de lui porter son sac.

Il lui est arrivé de faire appel à moi pour changer le sac de son aspirateur (à ce sujet, j'ai écrit un article sur la question du changement du sac d'aspirateur, ICI, parce que ce n'est pas une activité anodine) en échange de quoi elle a emmené mes enfants à la messe lorsque j'ai été malade et mon mari de garde.

Mais ce qui caractérise plus encore cette voisine, c'est sa crèche. Madame B. est originaire du midi, la crèche revêt donc pour une elle une importance portée à son maximum. Tous les ans, nous allions en cohorte sonner à sa porte pour qu'elle nous laisse admirer sa crèche. Venue en Alsace avec un petit carton contenant la Sainte Famille, elle a aujourd'hui une crèche de 3 mètres sur 2. 

Bien entendu, au début, c'était elle, et elle seule qui montait sa crèche et qui posait les santons. Ses petits-enfants ayant grandi, ils venaient l'aider. Et puis, il n'ont plus eu la possibilité, pris dans des études universitaires. C'est alors qu'elle nous expliquait, il y 7 ans de cela que ce serait une année sans crèche, que, timidement, je lui ai proposé notre aide. Et c'est ainsi que nous programmons, deux fois par an, le montage et le démontage de la crèche. Quel bonheur réciproque. Elle nous est infiniment reconnaissante de lui offrir tous les ans ce cadeau, nous lui sommes redevables d'une après-midi de délicatesse et de souvenirs.

Pour la structure de la crèche, elle fait appel à ses aides ménagères. Méticuleusement, elles emballent des livres dans du papier roche, elles déplacent des meubles, empilent les cartons selon les directives précises de Madame B. et recouvrent le tout de papier roche.

C'est là que nous intervenons. Je prends avec moi les deux enfants les plus calmes (donc les plus grands), et nous partons pour notre voyage dans le temps. C'est un peu comme un film que l'on revoit toujours avec le même bonheur, mais nous y sommes des acteurs. Nous connaissons notre rôle, et nous essayons de le jouer avec soin. Je me sens redevenir enfant et réclamer la lecture d'un conte. Interdit d'y changer une seule lettre. Il faut respecter le texte tel qu'il est écrit. C'est pourquoi nous échangeons les répliques, au bon moment. Nous posons les questions qu'elle attend, et elle se fait plaisir en nous répétant année après année toute l'histoire que nous connaissons à présent aussi bien qu'elle. Nous attendons ses commentaires, nous nous en délectons. 

- Voilà, je vous laisse faire, vous savez comment procéder. Faites comme vous le souhaitez.
- Tiens, vous avez mis le dormeur sur ce rocher ? Habituellement il est sous un arbre. Faites comme vous voulez, mais il serait mieux sous un arbre. Voilà, c'est mieux comme ça. 

En fait, si nous pouvons faire comme nous le souhaitons, il vaut mieux faire les choses comme elle le souhaiterait. Alors, comme elle a une mauvaise vue et qu'au fond elle aime quand les santons sont placés comme elle le désire, nous lui présentons un à un les santons pour lui demander où les poser. Elle les prend, et nous raconte une anecdote à propos de chacun. 



- Ces personnages espagnols m'ont été offerts par mon petit-fils qui faisait un voyage scolaire en Espagne. Mettez-les dans le village espagnol, là à gauche, à côté des maisons.





- Ah oui, la tortue de ma petite fille. Elle la cherchait toujours lorsqu'elle était dans les bras de son grand-père. Elle a 20 ans à présent, mais elle la cherchera dès qu'elle arrivera, mets-là à un endroit où elle peut la voir.







- La girafe ? C'est une autre de mes petites filles qui l'a installée dans la crèche alors qu'elle était petite. Depuis elle n'a plus quitté la crèche. (Note : c'est une girafe Sophie qui, il y a 7 ans faisait encore du bruit mais qui aujourd'hui est desséchée et percée)











- Le Père Noël de mon petit-fils ? (Note : en pâte à sel) Il a 25 ans à présent. Il ne sera pas jaloux si tu le mets un peu en arrière. 





- Vous avez trouvé les canards ? Il faut les placer sur le miroir au bout du ruisseau pour donner l'impression qu'ils nagent.
















- Le ravi ? Tu vois, il s'extasie de la naissance de l'Enfant Jésus. Mets-le tout en haut, près de Jésus. Regarde-le comme il est heureux, c'est pourquoi il écarte les bras.























- Les moutons ? Tu peux les installer où tu veux. Mais ils seraient mieux tous ensemble, à droite. Tu peux en faire grimper sur les cailloux.








Et ainsi de suite... 
Nous devenons le ravi de la crèche, nous sommes transportés de joie et nous unissons à la sienne qui voit sa crèche devenir à chaque moment plus jolie. Pour terminer elle nous dit : "Encore une année où j'ai pu admirer ma crèche... Maintenant nous allons goûter". 

Nous nous retrouvons autour de la table, nous l'aidons pour chercher le nécessaire, et elle nous gâte avec un gâteau du meilleur pâtissier de la ville. Nous repartons le coeur en fête, riches du bonheur partagé.

(Ma fille va me reprocher le flou des photos. Et il est difficile de photographier une crèche : le soleil dans le dos, les guirlandes lumineuses qui serpentent entre les santons, je n'ai pas trouvé la bonne solution pour une bonne photo).

10 commentaires:

  1. Très joli billet, très émouvant... Puissent toutes les "Madame B" avoir des voisines comme vous...

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    1. Puissent surtout tous les habitants avoir une voisine comme elle.

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  2. j'ai pu voir ce billet grâce à gjuhlia de marmiton qui a fait un mot sur facebook,elle envie cette dame sans doute , vous lui faites son grand bonheur chaque année , c'est merveilleux , quelle bonne voisine tu fais
    sissi

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  3. Ahhh, les anciens ont tellement de choses à raconter... Les histoires de mes grand-mères me manquent. Prenez bien soin de votre amie.

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  4. Merci pour ce petit voyage ! Etant du midi, je connais bien cette tradition : j'ai un ravi moi aussi !
    Très émouvant cette petite histoire.

    Je connais bien les voisins à distance. Jérôme et Delphine sont toujours LES voisins depuis notre déménagement, il y a 11 ans déjà !

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  5. J'ai l'impression d'entendre ma grand-mère qui disait "pourquoi pas après tout ?" quand on soumettait une idée différente de son souhait, ce qui voulait dire "je préfèrerais quand même que tu fasses ce que je souhaite".
    Hasard total, j'avais préparé il y a quelques temps un billet sur les vieilles dames qui est publié aujourd'hui.
    J'aime beaucoup aussi la girafe Sophie et la tortue, tout ces petits souvenirs d'amour...
    Elle me fait craquer ta voisine !

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  6. Quel beau billet..cela doit avoir un autre charme pour elle de l'installer avec vous 3 que seule.
    Cela ne coute rien de partager son temps mais cela enrichit chacun.
    De notre mutation dans le Sud j'ai comme souvenirs des santons,mais elle ne sera jamais aussi belle que celle-çi.

    Françoise

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  7. Magnifique crèche... et très beau billet !

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  8. Très très belle histoire et tant de tendresse!

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